Ecoféminisme au Rojava

(Re)découvrir l’écoféminisme

 

Pour la première fois paraît une anthologie en français de textes Écoféministes. Ce mouvement militant et poétique qui tente de s’émanciper des dominations par la réappropriation du corps féminin et de son milieu de vie (1).

C’est l’angle mort de l’écologie à la française : l’écoféminisme. À la fois mouvement militant dans les États-Unis des années 1980 et courant intellectuel, littéraire, politique. Ce n’est pas une idéologie. Ce n’est pas une doctrine. Ce n’est pas non plus un projet politique unifié. Mais plutôt un mouvement de réappropriation de soi, de son corps et de son milieu de vie, comme l’explique la philosophe Émilie Hache dans la belle introduction de Reclaim, première anthologie en français de textes écoféministes, publiée dans la collection « Sorcières » des éditions Cambourakis.

Comment se reconnecter à la nature détruite par les essais nucléaires, l’exploitation des ressources naturelles, les pollutions ? Comment se réapproprier son corps pour s’émanciper du patriarcat en se liant à l’air que l’on respire, à l’eau que l’on boit, à la terre que l’on foule ? Certains ont cru, et croient encore sans doute, que l’écoféminisme se réduit à un essentialisme. Émilie Hache réfute cette lecture dans l’entretien qu’elle a accordée à Mediapart pour l’émission « Champs des possibles » et décrit la puissance poétique de ces essais, pour la première fois traduits en français. La lecture des textes réunis dans cet ouvrage effervescent l’atteste.

(1) https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/060117/l-ecofeminisme-ou-comment-se-reconnecter-au-monde

Comment ? Certainement pas sans bousculer les comportements psychosociaux, que nous véhiculons, inconsciemment et, si une remise en question en profondeur individuelle est omise. Cette remise en question doit aussi, simultanément, être opérée collectivement par des échanges, des débats, des confrontations et des pratiques…

Une redéfinition de notre existence à chacun-e, en la considérant égale avec nos semblables et avec la nature (la terre mère) est certes complexe, mais simple à comprendre et non compliqué sur le plan moral –  du moins pour en poser la première pierre. Tout est question de volonté.

En exemple d’un projet de société qui prend pour valeur la vie et son environnement (dans tous les sens du terme), La Commune du Rojava.

Jinwar, village de femmes au Rojava

La région nord de la Syrie, frontalière avec la Turquie, est habitée notamment par des kurdes. Ceux-là même qui ont été victorieux contre Daesh et qui actuellement doivent subir les foudres du président turc R. T. Erdogan et de son armée.

En Rojava, donc, les populations font une guerre dont elles se passeraient bien, dans le même temps, elles inaugurent une société « nouvelle » : le confédéralisme démocratique ; ce que Murray Bookchin (qui en fut l’inspirateur) et Janeth Biehl appellent le municipalisme libertaire. Pratique sociétale, ou les femmes sont égales aux hommes. Une égalité qui ne se limite pas qu’au droit, mais qui pénètre au quotidien toute activité collective en société. Le confédéralisme démocratique prend très au sérieux la question écologique, au même titre que la question du genre, de « race », de classe. De manière implicite, les militantes kurdes sont écoféministes.

Ci dessous, un extrait (2) de l’ouvrage, La Commune du Rojava.

 

Le sexisme, caractéristique immuable d’une civilisation basée sur l’Etat

 Pour ceux qui demandent « à quoi sert l’histoire ? », on donne la réponse : « Elle sert à vous connaître vous même. » Pour qui est l’histoire et qui a écrit l’histoire ? A quel point du « se connaître soi-même » sommes-nous en tant que femmes ? La connaissance historique est un phénomène produit. Il est donc important de savoir qui a compilé les données historiques, qui les a interprétées et qui l’a produite. L’information elle-même est une forme d’organisation du monde et de l’histoire, sa signification et son utilisation sont une sphère pour la construction des relations de pouvoir. Donc le sexe de l’histoire ou le caractère sexiste de l’histoire, qui a été déterminé par les idéologies dominantes patriarcales et organise les sociétés comme systèmes, se trouve devant nous dans sa forme présente. L’histoire de la civilisation basée sur les classes est une vision sexiste de l’histoire. C’est une histoire qui partage les expériences des pouvoirs souverains. Les expériences des masses qui ne sont pas souveraines ont été complètement, ou largement ignorées, et exclues d’une tentative d’interprétation ou de recherche de signification. Les femmes ne sont pas présentes dans cette perception historique parce que l’histoire dans une civilisation basée sur les classes se forment sous le monopole des hommes. Les expériences et les actions des hommes – bien qu’aussi déformées – sont déclarées valables et historiquement signifiantes, alors que les expériences des femmes ont été ignorées. Donc, l’histoire de la civilisation doit encore surmonter son aveuglement basé sur le genre. Oui, « l’histoire de l’esclavage de la féminité reste à écrire, l’histoire de la liberté aussi ». La dissimulation de l’esclavage dans lequel les femmes se trouvent est intrinsèquement liée à la civilisation patriarcale et à son lien avec l’Etat. La femme en tant que sexe, classe et « race » est la plus ancienne captive. Tant que les sciences sociales n’auront pas analysé dans toute sa complexité la réalité historique des femmes, nous ne comprendrons pas l’Etat, l’homme, la famille et le pouvoir. Le fait que l’esclavage des femmes n’ait pas été abordé par les sciences sociales montre à quel point les perspectives et les valeurs de domination masculine sont profondes. Regarder les cinq mille ans d’histoire d’une civilisation basée sur les classes et les guerres et les massacres qu’elle a causés peut nous aider à comprendre la nature sexiste d’une civilisation basée sur l’Etat.

 

Idéologies dominantes et idéologies sexistes

La caractéristique fondamentale de l’Etat, du pouvoir, de la hiérarchie et de tous les autres types de souveraineté, c’est l’idéologie sexiste dominée par les hommes. L’approche patriarcale des sciences sociales, sous couvert d’objectivité, n’a pas pris en compte cette caractéristique de la civilisation, ce qui n’est pas étranger à la perception sexiste des sciences sociales. Donc, les « vraies » sciences sont sexistes. En fait, la réalité des femmes est un résumé de la civilisation basée sur les classes. « Si la société capitaliste est la continuation et l’apogée de toutes les sociétés exploiteuses, alors nous pouvons dire que la femme est le sommet de l’esclavagisme de ces sociétés. » Pour comprendre l’esclavage de classe, ethnique et national, il faut le regarder à la lumière de la définition de la femme.

 

La première contradiction de l’histoire, c’est la contradiction entre les sexes

La première contradiction dans une société dominée par les hommes n’est pas, comme on l’a souvent proclamée, une contradiction de classes mais une contradiction de sexes. La voie menant à la mise en esclavage d’autres groupes de société a été ouverte par la mise en esclavage des femmes. Toutes les formes d’esclavage ont un lien directe avec l’esclavage des femmes.. Le sexe féminin est tout en bas de l’échelle, au-dessous ded tous les groupes exploités et opprimés. La descente graduelle et forcée dans la hiérarchie de la société conjuguée à la perte de tous ses puissants attributs sociaux est la contre-révolution la plus fondamentale contre la société. Le résultat est une des plus grandes ruptures dans l’histoire, qui continue et reste ressentie encore aujourd’hui, une rupture sexuelle. Cette contre-révolution contre la société communautaire organisée autour de la mère a lieu à une période où les classes, l’exploitation et les armées se développent et où la loi dominée par les hommes prend la place de la moralité communautaire.

Pourtant, les communautés savaient vivre différemment autrefois. Beaucoup de chose prouvent que la question du sexisme ne se posait pas pendant le processus initial de la socialisation. La formation de la société naturelle était basées autour de la culture de la déesse-mère. La déesse-mère gagnait une identité sociale avec son talent, ses capacités à diriger et sa créativité. L’individu se définissait avec l’identité de la société naturelle et en devenait sujet en participant à la production et à la vie de la communauté. La division du travail faisait que chaque personne pouvait participer selon sa force, son talent et son âge. Les gens ne se considéraient pas comme à coté ou au-dessus de la nature, mais comme une partie vivant de l’ordre naturel. Ce n’est pas une exagération de dire qu’avec la révolution néolithique les valeurs matriarcales qui s’étaient développées jusqu’à alors ont été usurpés par les hommes, instaurant de ce fait une domination masculine, et fait perdre aux femmes leur pouvoir et leur identité. Cette perte d’identité a aussi conduit à une détérioration de la structure de la société naturelle et de ses fondements écologiques. Tandis que les femmes devenaient la propriété des hommes, la société de classes se développait aussi et un abîme se formait entre le dominant et les opprimés. La violence qu’on faisait subir aux femmes a été un signe avant-coureur des massacres menés au court des sociétés esclavagistes. Les catégories qui commencèrent à se former dans l’ordre social poussèrent les femmes vers le fond et créèrent un système de pouvoir vertical. Les valeurs communautaires basées autour de la femme furent ignorées. Cette attaque, qui commença avec les organes idéologiques patriarcaux de l’époque que furent les prêtres du ziggourat, fut lentement imposée à la société, pis développée par les philosophes de l’antiquité.

 

La dégradation de l’être humain au rang de propriété d’autrui commence avec la femme

La souveraineté et toutes les formes d’esclavage furent gravées dans la mémoire de l’humanité. Cette mentalité trouve ses racines à la naissance de la civilisation basée sur les classes, et s’est nourrie, pendant les cinq mille années de son développement, du sang des peuples et des communautés.

Les valeurs morales qui étaient matriarcales, furent éliminées au prétexte d’être « primitives ». Le collectif fut subsumé par l’individu. L’économie basée sur le partage et la nécessité fut remplacée par une économie d’exploitation. Le surplus crée par le travail fut monopolisé et la propriété fut crée à partir du surplus. Pour la première fois, les communautés eurent affaire à la hiérarchie, au capital et à l’exploitation. Les récits, les mythes et les histoires qui racontaient comment les humains étaient devenus ce qu’ils étaient, furent remplacés par des versions officielles et souveraines de l’histoire. Le but était de couper les racines de la conscience et de la mémoire de la société. La souveraineté et l’exploitation ont alors créé l’Etat et le pouvoir. Simultanément, ce pouvoir étatique a créé des armées pour contrôler les masses. La mentalité souveraine masculine qui avait crée l’exploitation et la propriété a réalisé son premier viol et génocide.

Le sexisme est la destruction de l’équilibre social et écologique

Un grand massacre contre les femmes a été commis aux niveaux de sa valeur sociale et de son existence physique. Comme si le fait d’être emprisonnée entre quatre murs n’était pas suffisant, la femme a été voilée et sa liberté de mouvement limitée à la permission donnée par un homme. Cette période est encore plus violente que la première période de rupture. Les femmes, de même que la société et la nature, ont été exploitées avec pour justification que les « forts écrasent toujours les faibles ». Les valeurs écologiques et sociétales ont été largement détruites, la guerre, la violence, la pauvreté, l’oppression, la perte des valeurs morales et la kyrielle de problèmes qu’ils entraînent pèsent sur l’humanité. La mise en esclavage de la société a perduré des milliers d’années et a atteint maintenant un niveau inacceptable. La société et ses individus ont été transformés en objets. Avec l’apparition des religions monothéistes, l’esclavage de la femme est devenu loi divine. Le traitement de la femmes est lié aux commandements divins. La religion et la croyance font de la femme un tabou, ce qui est utilisé comme un piège fatal pour son asservissement.

 

Le sexisme en Europe

L’idée et les valeurs de la femme créées par la civilisation européenne sont au moins aussi destructrice que sa contrepartie dogmatique traditionnelle. La femme est coincée d’un côté par la culture de la pornographie et de l’autres drapée et voilée dans l’obscurité : c’est une situation extrêmement difficile pour une femmes. Toutes les vertus de la féminité ont été inversées. Tous les attributs dont une femme peut être fière sont placés sous l’impératif de la loi morale. Le seul objectif de la femme est de satisfaire sans conditions les désires de l’homme ; un homme, qui a lui-même été aliéné et piégé par la tradition religieuse, se voit offrir une femme qui devient sa possession la plus précieuse. Un homme en général et un mari en particulier sont à la femme ce que l’empereur est à un Etat. Ce confinement culturel force sans cesse la femme à capituler. La mise en esclavage de la femme est similaire à celle d’un peuple, sauf qu’elle la précède. La civilisation capitaliste est le système d’exploitation des femmes le plus développé.

 

Le sexisme dans la période du capitalisme financier

Le 20° et les 21° siècles sont les siècles où les politiques les plus perfectionnées contre les valeurs sociétales et la complétude que représente la femme ont été mise en place. Les « libertés individuelles » sont fétichisées et les valeurs sociétales pillées. Les structures du pouvoir développent de nouvelles méthodes pour s’infiltrer dans tous les recoins du tissu social. L’argent, le profit, la rivalité, la propriété et la marge de bénéfice, tel est le vocabulaire fondamental de la période. Après une histoire de viol, d’immolation et toutes les autres formes de massacre, la féminité est maintenant un sujet marketing.

Aujourd’hui, le corps de la femme est aussi fragmenté que les nations et les peuples. La femme est utilisée sans limite par le capitalisme financier pour devenir souverain du monde. On donne un prix à chaque partie du corps de la femme, on l’utilise pour vendre une voiture comme si c’était la femme qui était à vendre, pas la voiture ! Le message des publicités est en fait : désirez le produit comme vous désireriez la femme. La réification de la femme renforce le sexisme sociétal. Les publicités sont les outils idéologiques les plus puissants du capitalisme financier et elles produisent les messages idéologiques les plus efficaces.

La réalité de la femme réifiée dans le capitalisme financier

Le capitalisme financier exploite la sexualité de la femme pour provoquer et façonner les instincts des hommes et des femmes. Tous, depuis comment une femme devrait tomber amoureuse jusqu’à comment elle devrait vivre ou faire l’amour, est déterminé par le capitalisme financier pour créer un monotype. C’est le contrôle de la société qui est visé à travers la femme. On construit un monde virtuel qui est étranger à l’essence et à la nature de la femme à son propre sexe La fétichisation des femmes qui présentent et vendent leur corps est semblable à la fétichisation de l’argent ; les femmes peuvent exister si elles acceptent de devenir des objets. Cette dégradation conduit à la fragmentation de sa personnalité. Le plus dangereux cependant, c’est la transformation de la femme d’esclave d’un Etat ou d’un individu en esclave de la société tout entière. C’est le piège le plus grave tendu par la modernité capitaliste. La quête dévoyée de sa liberté est entremêlée avec sa profonde exploitation.

 

La légitimation de la culture du viol

Il est important de noter que la culture du viol, qui est déguisée par les mensonges sur l’honneur et l’amour, et qui menace la vie des femmes dans la rue, au travail, dans le métro et chez elle, c’est aussi la mort des hommes. Toute valeur perdue pour la femme est aussi perdue pour l’homme, parce que la domination, l’exploitation, est un mécanisme qui naît en corrélation avec la perte de votre humanité. De plus, il est évident que cette culture du viol, avec les relations et le système qu’elle engendre, commence avec la femmes mais continue et englobe la nature, les peuples et aussi les hommes. L’ironie est que les hommes ne sont pas conscients de cela ; ils la regarde comme une victime mais ne comprenne pas la distorsion de leur propre personnalité. L’aveuglement des hommes en ce qui concerne la culture du viol est tragique. Les hommes ne voient pas la l’anéantissement de la volonté des femmes comme un viol et acceptent le rôle qui a été créé pour eux. Il est important de noter que les rôles du genre sont de structures sociales qui ont été façonnés par le sexisme. Donc, les civilisations basées sur l’Etat sont dans l’ensemble des ennemies des femmes. Depuis cinq mille ans, le système étatique dominé par les hommes mène une guerre systématique contre les femmes. Cette guerre continue. Le génocide contre les femmes est aussi une base de tous les autres génocides de l’histoire.

 

En conclusion

Comprendre la situation de la femme dans ce système de domination et de propriété est vital pour l’humanité. Une histoire et un fonctionnement social perdus existent à la racine de cette question. Aucune société ne peut parvenir à une véritable liberté sans se confronter au fait historique et sociétal. Dans la civilisation actuelle, la question des femmes est au cœur de tous les problèmes sociaux. La liberté et l’égalité ne peuvent pas être atteintes sans égalité de sexes. La démocratie ne peut s’enraciner que si la liberté de la femme est placée en son centre. Toutes les idéologies dominées par l’homme et toutes les structures de pensée doivent passer par un processus de l’analyse critique et d’autocritique. Sinon, ni une femme libre ni une société libre ne pourront émerger.

 

(2) Ce chapitre – complet – du livre est écrit par Fadile Yildirim : militante emprisonnée dix ans pour ses convictions politiques. Elle travaille actuellement au Centre de rencontres des femmes d’Utamara.

La Commune du Rojava – L’alternative kurde à l’Etat nation. Sous la coordination de Stephen Bouquin, Mireille court, Chris Den Hond. Edition Syllepse, 2017 – 18 euros.

 

(Jano Celle) le 1er mai 18.

 

Les commentaires sont clos.