Casino & Carrefour associés à la déforestation

Au Brésil, un gros fournisseur de Carrefour et Casino

mêlé à la déforestation en Amazonie

Nous publions cette information produite par Médiapart. Les consommateurs et consommatrices apprécieront le désintérêt de facto des grands groupes français.
Par Patricia Neves

Géant controversé de l’agro-industrie brésilienne, JBS fournit abondamment les rayons boucherie de Carrefour et Casino au Brésil. Malgré ses engagements, JBS continue de travailler avec des fermes impliquées dans la déforestation en Amazonie.

 

Dans l’Etat de Rondônia (Brésil), de notre envoyée spéciale

Une petite ferme au milieu de la forêt amazonienne. Du linge sèche aux fenêtres de cette ferme d’un couple modeste. L’homme travaille dans les champs, la femme au foyer. C’est l’épouse qui reçoit. Après avoir cultivé du café, du maïs et des haricots, son mari, M. Lemes*, a décidé de se lancer dans l’élevage bovin avec son frère, éleveur lui aussi, installé à quelques mètres de là. Elle dit qu’elle n’y connaît rien mais que « si ça continue comme ça, l’arroba de bœuf [unité de mesure équivalente à 15 kg – ndlr] finira par atteindre 200 reais ! [35 euros – ndlr] ». Un record. Lorsqu’ils ont vendu une partie de leurs bêtes cet automne – plus de 200 têtes de près de 500 kg chacune –, l’arroba s’élevait déjà à 150 reais [26 euros – ndlr]. Tout juste de quoi payer les dettes.

Le couple réalise trois ou quatre fois des ventes comme celles-ci par an sur sa propriété, dans le nord-ouest brésilien. Le rituel est toujours le même. Le client aussi. Il possède les abattoirs du coin et vient récupérer sur place, à la ferme, les bovins qu’il embarque, précise l’épouse, dans de gros camions. Le client ? JBS, le roi de l’agrobusiness. Dans les rétroviseurs des camions JBS défile alors, après chaque vente, le paysage. Une lignée de palmiers bien rangés et tout autour de la ferme de M. Lemes, bercée par le chant des oiseaux, des arbres coupés, brûlés dont les carcasses calcinées parsèment encore, çà et là, le sol. Ici, dans l’État de Rondônia, la forêt a brûlé il n’y a pas longtemps. La flore a été endommagée, mais les autorités n’ont pas tardé à retrouver les responsables. Parmi eux, M. Lemes. 

Placé sous embargo par l’Ibama, l’Institut brésilien de protection de l’environnement, M. Lemes n’a pour le moment plus le droit de vendre son bétail. Les transactions qu’il effectue à la ferme sont illégales. Les entreprises ont également interdiction de se fournir auprès de lui. En particulier celles qui, comme JBS, ont signé en 2009 avec le ministère public fédéral brésilien les accords dits « d’ajustement de conduite » (TAC en portugais) visant notamment à instaurer des pratiques plus respectueuses de l’environnement et du droit du travail. Pour ces entreprises signataires du TAC, dont JBS, « l’achat de bétail dans des zones déboisées illégalement [à l’instar de la petite ferme de M. Lemes – ndlr] est un crime environnemental », rappelle l’ONG Greenpeace, qui a beaucoup œuvré au Brésil à une régulation de la filière bovine, principale responsable de la déforestation en Amazonie.

Vue aérienne d’une zone défrichée en Amazonie dans l’État du Pará le 5 septembre 2019. © REUTERS

À Rondônia, comme l’a constaté Mediapart, JBS achète donc de la viande produite illégalement. Le groupe risque pour ces faits une forte amende, pouvant atteindre plusieurs millions de reais. Très controversé, impliqué ces dernières années dans de nombreux scandales de corruption, JBS, « champion » de l’économie brésilienne, figure encore néanmoins, au Brésil en 2019, comme un gros fournisseur des deux grands leaders de la grande distribution : les géants français Carrefour et Casino.

« Nous souhaitons offrir à tous les consommateurs […] une alimentation de qualité, fiable […]. Éliminer la déforestation de nos approvisionnements contribue à cette ambition », écrit pourtant Alexandre Bompard, président-directeur général de Carrefour, en introduction du programme « Forêts durables 2020 ».

L’objectif de cette politique de développement durable est ambitieux. La déforestation se poursuit toutefois à un rythme soutenu en Amazonie au premier trimestre 2020 selon le système d’alerte par satellite (Deter) de l’Institut national de recherches spatiales brésilien (INPE). Malgré la pandémie de Covid-19, 796 km2 de forêt apparaissent menacés rien qu’entre janvier et mars, soit une hausse de 51 % par rapport à la même période l’année dernière. Des alertes qui avaient déjà explosé en 2019 (+ 85 %).

Dans ce contexte, les objectifs de Carrefour, leader sur le marché brésilien, sont d’autant plus importants qu’il s’agit précisément pour le groupe de « s’assurer qu’aucun de [ses] fournisseurs brésiliens ne figure sur les listes […] des zones sous embargo ». Chez la concurrence, on affiche la même volonté. Jean-Charles Naouri, PDG de Casino, qui opère au Brésil à travers le groupe GPA (Pão de Açúcar) dont il a pris le contrôle en 2012, évoque lui aussi la « relation de confiance » avec ses clients. « Conscient du rôle qu’il joue […], GPA s’engage à lutter contre l’impact de l’industrie de la viande sur le biome amazonien », lit-on par exemple dans la nouvelle politique d’achat du groupe, mise en place en 2016.

Pour répondre aux attentes des consommateurs, Carrefour et Casino ont investi dans de « nouveaux » outils de traçabilité et de contrôle des fermes via un système de géoréférencement par satellite. Le Brésil représente un gros marché pour les Français, le plus gros marché de Carrefour hors de France (environ 20 % de son chiffre d’affaires). Plus de 42 % des revenus 2018 de Casino proviennent également de l’Amérique du Sud et en particulier de GPA.

La « plateforme de géoréférencement satellite » de Carrefour a déjà permis dans cette optique, selon le rapport annuel 2018 du groupe, d’atteindre la moitié des objectifs du programme « Forêts durables 2020 », soit un taux de réussite de 97 %. De même, GPA/Casino estime dans son rapport annuel de 2018 avoir acheté l’immense majorité de sa viande de bœuf – 98,7 % – auprès de fermes géoréférencées. Le reste relevant notamment de la responsabilité des « partenaires », JBS entre autres. 

Le détail est important. Car tout se joue, en réalité, au niveau des « partenaires ». Contrairement aux excellents taux de réussite affichés, Carrefour et Casino sont loin d’avoir atteint leurs objectifs. Deux raisons à cela. Au Brésil, sur un cycle d’élevage de bovins réparti en plusieurs phases, seule la dernière étape de l’engraissement est actuellement géoréférencée. Les fournisseurs dits « indirects » – des éleveurs qui interviennent en amont – ne font l’objet d’aucun contrôle. Les outils de Carrefour et Casino ne permettent par conséquent de contrôler qu’une infime partie de la chaîne.

Par ailleurs, 98 % des 24 000 tonnes de viande de bœuf vendues chaque année par Carrefour au Brésil sont commercialisées sous des marques nationales brésiliennes. Situation vraisemblablement identique chez Casino. Les deux géants français ont massivement recours à des « partenaires ». En particulier à JBS et au joyau du groupe, la marque Friboi. Côtes de bœuf Friboi, filet mignon Friboi, bavette Friboi, aiguillette de romsteck Friboi… Les rayons de Carrefour et Casino au Brésil en sont remplis. Jusqu’à 200 reais (35 euros) le morceau. Une situation de monopole résumée en un chiffre : 204 milliards de reais (plus de 204 milliards d’euros) de revenus nets réalisés par JBS en 2018. Un score jamais atteint auparavant, porté par les exportations en Chine. « Éliminer la déforestation » en Amazonie revient ainsi pour les Français à demander des comptes au Goliath brésilien. 

Les feux qui ont détruit près de 10 000 km2 carrés de forêt amazonienne en 2018 et 2019 en ont rappelé l’urgence et la nécessité. Dix ans que la plus vaste forêt tropicale au monde n’avait pas autant brûlé, selon l’INPE, l’Institut national brésilien de recherches spatiales. 2,5 millions d’hectares partis en fumée pour le seul mois d’août.

Une catastrophe pour le Brésil mais aussi pour la planète. Outre un trésor inestimable de biodiversité, l’Amazonie régule les gaz à effet de serre responsables, notamment, du réchauffement climatique, en stockant d’immenses réserves de carbone. La forêt abrite également des peuples indigènes, menacés, agressés, parfois même tués et dont les terres disparaissent, happées par l’agrobusiness. À elle seule, la filière bovine est responsable de plus de la moitié de la déforestation de l’Amazonie ; loin devant la culture de soja, l’industrie minière ou encore le trafic de bois.

Pour accroître leurs zones de pâturage, les éleveurs de bovins n’hésitent pas en effet à couper les arbres, y compris de forêts protégées, à revendre le bois extrait illégalement puis à incendier les sols pour mieux les défricher. L’industrie de l’élevage (8,7 % du PIB brésilien) a désormais un soutien de taille. Celui du président d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui n’a cessé d’attaquer publiquement, depuis son élection fin 2018, les institutions de protection de l’environnement et ses défenseurs. 

Au-delà du show médiatique qui a aussi bien consisté à prendre à partie des militants célèbres – Greta Thunberg, Leonardo DiCaprio –, qu’à développer des thèses complotistes, allant jusqu’à accuser l’été dernier les ONG d’avoir elles-mêmes mis le feu à l’Amazonie, Bolsonaro, climatosceptique, a d’ores et déjà mis en place une série de mesures décriées.

Le service forestier a, par exemple, été transféré sous la coupe du ministère de l’agriculture brésilien, qui défend, entre autres intérêts, ceux de la filière bovine. Le budget alloué à la prévention des incendies a lui enregistré une baisse de 38,4 %. Quant aux responsables des institutions de protection ou de surveillance de l’environnement, ils ont tout simplement été poussés vers la sortie. Comme Ricardo Galvão l’été dernier. À la tête de l’INPE, il était notamment chargé de surveiller l’évolution de la déforestation. Ou encore Olivaldi Azevedo, l’un des directeurs de l’Ibama, l’Institut brésilien de protection de l’environnement, remercié début avril 2020 après une opération d’envergure menée dans l’État du Pará contre les « garimpeiros », ceux qui envahissent les terres des peuples indigènes au risque désormais de propager le Covid-19.

« De manière générale, on observe, lors de transactions, l’utilisation du nom d’un proche »

La question du lien entre la déforestation et la filière bovine n’est cependant pas nouvelle. Le nouveau code forestier, adopté en 2012 sous la gauche de Lula, avait déjà suscité les critiques. L’article 67 en particulier, qui accorde une « amnistie » aux petits propriétaires repentis ayant déboisé illégalement avant juillet 2008.

Pour JBS non plus, la question n’est pas nouvelle. 30 000 têtes de bovins achetées par JBS en Amazonie, dans l’État du Pará, provenaient déjà, en 2017, de fermes illégales, placées sous embargo. 24,7 millions de reais d’amende avaient à l’époque été requis contre JBS par les autorités brésiliennes. Persistant, malgré les révélations de la presse ou des ONG, le problème n’a pas empêché Carrefour et Casino de continuer de faire des affaires avec leur puissant « partenaire ».

 Dans l’État du Pará le 5 septembre 2019. © REUTERS

Les techniques de « blanchiment » de l’origine du bœuf ne sont pourtant pas très élaborées. Elles se situent pour l’essentiel au niveau du registre de propriété (CAR) et du Guide de transit animal (GTA), un document où doit, entre autres, figurer au Brésil, pour chaque tête de bétail, le nom de l’éleveur et le nom de la ferme où l’animal a été engraissé.

La principale faille de ce système repose sur son caractère déclaratif, la documentation contrôlée par les groupes comme JBS, Carrefour et Casino se fonde de fait sur la simple bonne foi de l’éleveur. Il suffit alors à un éleveur placé sous embargo, poursuivi par les autorités, de vendre sa production sous le nom d’un tiers. Rien de plus simple au Brésil, les fermes étant très souvent des structures familiales.

« De manière générale, on observe, lors de transactions, l’utilisation du nom d’un proche, d’un frère ou de l’épouse par exemple », explique la chercheuse américaine Lisa Rausch, qui a développé avec ses collègues de l’Université du Wisconsin un outil de traçabilité permettant de contrôler l’intégralité de la chaîne de production. « Dans les États du Pará et du Mato Grosso, poursuit la chercheuse, plus de la moitié des fournisseurs directs, géoréférencés, possèdent par ailleurs plusieurs propriétés ».

Il suffit ici à l’éleveur de « maintenir l’une des propriétés propre, sans déforestation ». Autre schéma observé : « Si l’éleveur a travaillé comme fournisseur direct, dans une ferme d’engraissement et qu’il a déboisé illégalement sa propriété, il a aussi la possibilité de changer de statut, de devenir un fournisseur indirect en intervenant avant la dernière étape de l’engraissement. » Il ne sera plus contrôlé.

À cela s’ajoutent des contrôles très limités. À elle seule, l’Amazonie brésilienne compte aujourd’hui 85 millions de têtes de bétail pour un cheptel brésilien total de 213 millions (un nombre supérieur à la population brésilienne) Cette relation de confiance aveugle avec l’éleveur se répercute ensuite en cascade, sur chaque maillon de la chaîne. Aucun groupe n’est épargné : JBS, ses concurrents brésiliens, les groupes Minerva ou encore Marfrig, pas plus que leurs acheteurs, Carrefour, Casino, ou les Américains de Walmart. Car sur le terrain, les petits arrangements sont profondément ancrés dans les mœurs. Il suffit de discuter avec les éleveurs de bovins installés en Amazonie pour s’en apercevoir.

Dans l’État de Rondônia, au nord-ouest du Brésil, où Bolsonaro a été plébiscité, les camions défilent, nombreux. Sur les chemins de terre, certains sont en train de charger des bovins. JBS se fournit dans le coin, auprès d’un autre éleveur, installé à quelques kilomètres de la petite ferme de M. Lemes. Le propriétaire ici est un riche homme d’affaires. Il habite en ville et possède, dans la région, une chaîne de magasins de produits agricoles.

Alberto, 23 ans, est l’un des employés du domaine, immense. Chapeau de paille sur la tête, le jeune homme veille ce jour-là, en jeans et en tongs, sur près d’un millier de bovins. Les animaux se prélassent sur de beaux pâturages, au milieu desquels on aperçoit là aussi des troncs d’arbres brûlés, calcinés. L’employé peu prolixe livre un détail intéressant. Il explique que son patron magouille le « GTA », le Guide de transit animal. Officiellement, les bovins du patron, un fournisseur de JBS, ont tous la même origine mais le bétail est en réalité élevé sur des parcelles non déclarées. 

Sur la route, un dernier éleveur roule à scooter. Il a lui aussi été placé sous embargo par l’Ibama, l’Institut brésilien de protection de l’environnement, pour avoir endommagé – brûlé, déboisé – la forêt autour de la ferme qu’il occupe. La loi lui interdit de poursuivre son activité. Mais l’éleveur, un vieil homme à la peau usée par le soleil, est pressé. Il doit aller récupérer son bétail, qu’il garde non pas chez lui, à la ferme, mais sur un autre terrain à proximité.La révélation d’un réseau de fermes familialesÀ des milliers de kilomètres au sud du pays, dans un quartier huppé à l’ouest de Rio de Janeiro, les employés du supermarché Carrefour s’activent en rayon. Les Brésiliens raffolent de ce qu’ils appellent le « churrasco », version tropicale du barbecue à l’américaine. 80 % des 11 millions de tonnes de bœuf produites dans le pays en 2018 sont consommés par les propres Brésiliens.Parmi les nombreux morceaux de bœuf disponibles chez Carrefour, un produit issu en partie de propriétés visitées par Mediapart : celles des frères Lemes, encerclées par la déforestation. Impossible dans ces conditions pour Carrefour de prouver que le bœuf JBS qu’il met actuellement en vente au Brésil provient à 100 % de parcelles légales. Idem pour Casino. 

À São Paulo, près de la grande avenue Paulista, principale artère de la ville, un autre lot attire l’attention, cette fois dans un supermarché Extra, appartenant au groupe GPA. Le lot provient de l’abattoir 4268 de JBS, situé au Brésil, dans l’État du Mato Grosso, lui aussi très touché par les incendies de 2019. L’abattoir 4268, implanté à proximité de zones illégalement déboisées, est considéré comme l’un des plus à risque. Et pour cause. En remontant l’origine de plusieurs lots sortis de cet abattoir JBS, Mediapart est tombé sur un réseau de fermes familiales dont au moins trois des membres ont été placés sous embargo pour déforestation.

Interrogé sur ses liens avec JBS, Carrefour répond de manière laconique. « Pour les principaux fournisseurs de la filière bœuf sur le marché brésilien, indique le porte-parole du groupe, Carrefour Brasil a envoyé un courrier leur demandant un entretien spécifique afin de leur réaffirmer son engagement de lutte contre la déforestation et de leur demander les actions mises en œuvre pour répondre à cet engagement. À la suite de ces réunions, des plans d’action seront mis en place dès 2020. » Qui participera à ces réunions ? Quand auront-elles lieu ? Quels plans d’action sont envisagés ? Carrefour n’apporte pas plus de précisions.

Également questionné sur sa relation commerciale avec JBS, Casino, à travers sa filiale GPA, évoque « le secret des affaires » mais communique davantage. Vingt-trois fournisseurs de la filière bœuf ne « respectant pas l’ensemble des engagements du groupe » ont d’ores et déjà été bloqués par GPA. « Engagé à lutter contre la déforestation liée à l’exploitation des matières premières », Casino soutient par ailleurs le « Cerrado Manifesto », un manifeste visant à protéger le Cerrado brésilien, une région de savane arborée durement déboisée, elle aussi, par l’agro-industrie.

De la même manière, Carrefour a apporté son soutien à ce manifeste et développe, comme Casino, ses propres programmes environnementaux avec l’aide d’ONG. Plus de 450 fermiers du Mato Grosso sont ainsi accompagnés dans un programme global de protection de l’environnement mis en place par Carrefour et l’ONG The Sustainable Trade Initiative. Quant à Casino, il a développé une marque propre de viande de bœuf permettant de contrôler l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement, y compris les fournisseurs indirects. Vingt-cinq fermes, chapeautées par l’ONG brésilienne Aliança da Terra travaillent pour cette marque Casino. Une goutte d’eau.

Le groupe JBS rappelle pour sa part son engagement à « combattre, décourager, et éliminer la déforestation en Amazonie. Depuis près d’une décennie, détaille le groupe, JBS contrôle sa chaîne d’approvisionnement à partir d’images satellites, de données géoréférencées des fermes partenaires et des informations officielles fournies par le gouvernement. » À ce titre, poursuit JBS, « le système de contrôle du groupe en Amazonie recouvre plus de 450 000 km² (ou 45 millions d’hectares), soit une superficie supérieure à celle de l’Allemagne. JBS évalue chaque jour plus de 50 000 fermes potentiellement partenaires. 8 000 fermes en situation irrégulière ont été bloquées ces dernières années. » Enfin, « tous les achats de bovins de JBS en Amazonie font l’objet d’un audit indépendant de DNV GL, une société [entre autres, de management de risques – ndlr] dont le siège se situe en Norvège. L’audit le plus récent, mené en 2018, conclut JBS, a confirmé que 100 % des achats de JBS étaient en conformité. La compagnie a travaillé au fil des ans pour améliorer les normes du secteur […] la qualité de ses produits est mondialement reconnue. » Des résultats plus optimistes que ceux du ministère public fédéral brésilien. 8,3 % de têtes de bétail achetées par JBS, en 2017 dans le seul État du Pará, présentaient encore des irrégularités selon les procureurs brésiliens. Un chiffre en nette amélioration.

Pour Paulo Barreto cependant, de l’institut brésilien Imazon, un organisme de recherche à but non lucratif, les actions menées, notamment par la grande distribution, sont insuffisantes. « Carrefour a demandé, par écrit, à ce que leurs fournisseurs comme JBS leur apportent davantage d’informations, mais Carrefour sait très bien ce qui se passe. J’aurais souhaité une réaction plus ferme. Qu’ils arrêtent par exemple d’acheter de la viande provenant d’abattoirs à risque ou qu’ils mettent en place, au moins, un calendrier allant dans ce sens. En disant : voilà, on vous donne six mois pour vous doter d’un véritable système de traçabilité permettant de vérifier l’origine du bœuf. L’action des grands groupes comme Carrefour et Casino, qui font de grandes promesses environnementales, est d’autant plus importante, affirme Paulo Barreto, quand le pouvoir politique se montre réticent à appliquer la loi. C’est leur réputation auprès des consommateurs qui est en jeu» Signe, pour le chercheur, que rien n’a changé depuis les incendies de l’été dernier, « la valeur de JBS sur le marché a explosé cette année ».

Dans sa ferme de Rondônia, M. Lemes, placé sous embargo, attend son jugement. Il prépare déjà la prochaine livraison pour JBS. Les enclos, eux, sont vides. Les bovins ont été « déplacés », précise l’épouse, loin, cachés à l’intérieur des terres.

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