Lois liberticides

Article paru dans le n° 69 de la revue PES (Pour l’émancipation sociale).

Lois liberticides

Le jour d’après, c’est maintenant !

La considérable importance de contrer le projet liberticide de LReM nous pousse à poursuivre notre réflexion sur cette forme de despotisme projeté (voir l’article Sécurité globale mon amour), de « dictature démocratique », exercé avec le projet de loi Sécurité globale ou encore contre le « séparatisme ». Ce funeste gouvernement prétend vouloir protéger les Français-es contre eux/elles même, tant sur le plan policier que sanitaire. Curieux paradoxe que celui de « protéger » les populations face à la pandémie et d’encourager policiers et gendarmes à une violence extrême sur les mêmes populations, lors de manifestations à caractère social ou environnemental.

Les mobilisations citoyennes qui ont débuté à l’orée des fêtes de fin d’année auront faiblement repris ce mois de janvier. Les restrictions imposées pour cause d’épidémie semblent avoir sclérosé une majorité de français-es. Ces Marches de liberté ne suffiront pas à faire reculer Macron et sa suite, nous avons pu le constater amèrement lors des régressions sur le droit du travail notamment ou lors du mouvement des Gilets Jaunes. Il va falloir broder de nouvelles actions de résistance pour mettre ce pouvoir au pied du mur de son intolérance, restrictions sanitaires ou pas !

Le livre blanc de la sécurité intérieure

Sur le site du ministère de l’intérieur, on peut lire : « … Prendre en compte les enjeux de la sécurité intérieure du 21e siècle, (…) plaçant l’humain au cœur de l’action ». En termes claires, cela signifie :

– Renouveler le pacte pour la sécurité (un pacte entre qui et qui dans cette « démocratie verticale »?)

– Recréer la confiance entre la population et les forces de sécurité (donc, cette confiance est bien inexistante)

– Réaffirmer le sens de la mission des forces de sécurité intérieure (FSI) (1)

– Favoriser l’engagement citoyen aux cotés de ces forces (organiser la délation…)

En janvier 2020, s’est tenue une conférence de citoyen-nes sur le thème des relations entre la population et les FSI. 108 travailleur-ses lambda, sélectionnés par l’IFOP (institut de sondage), ont été associés à l’élaboration dudit livre blanc. Ce simulacre de « démocratie participative » aura permis de révéler les inquiétudes et les demandes citoyennes. Mais alors que l’augmentation du budget pour la place Beauvau a ses limites, les participant-es ont appelé à la mise en place d’une police de proximité. S’ils sont entendus, la proximité signifierait la gestion par les polices municipales et les vigiles de sociétés privées de gardiennage. Mais l’essentiel pour le gouvernement est de pouvoir se vanter de nouvelles applications sécuritaires, établies avec le consentement d’un panel représentatif de Français-es, alors qu’il/elles n’auront participé au projet qu’à la marge, tout en cautionnant le gouvernement. Ces nouvelles applications visent à renforcer, en particulier la technopolice (drones, biométrie, informatique, etc.). Sur 332 pages, le compte rendu dudit livre blanc comporte plus de 150 fois les termes technologies et technologiques. Exemple de « progrès technopolice : l’IMSI-catcher ; c’est un appareil qui se dissimule dans un sac à dos, qui peut capter sur un rayon de 10 à 20 mètres toutes les données des téléphones mobiles : fichiers enregistrés, les contacts, les communications en cours, les SMS…

Renforcer le contrôle des individu-es et des associations

J. Chirac, N. Sarkozy et F. Hollande avaient tous trois utilisé le concept de « communautarisme » pour le dissocier de « l’intégration », de l’identité nationale, des « valeurs » de la République, de la laïcité. S’agit-il aujourd’hui de s’en prendre à la communauté des chasseurs, des joueurs de pétanque, ou de la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace. Bien sûr que non ! C’est l’islam – mais pas seulement – qui est visé.

Macron, depuis qu’il est à l’Elysée, tente par tous les moyens de parvenir à ses fins, son credo est : diviser et réprimer les populations. Manipulant la sémantique et pratiquant la novlangue, il abandonne le terme communautarisme et parle de « séparatisme », avant de l’abandonner également au profit des « principes républicains », évitant ainsi les polémiques politico-philosophiques sur la laïcité et le séparatisme, sujets ultrasensibles sur lesquels il convient de légiférer sans faire trop de vague.

« La peur va changer de camp », a promis le chef de l’Etat le 2 octobre (2). Que le terme « séparatisme » ait disparu n’a pas changé le projet de loi, l’opportunité de la lutte « contre le djihad qui menace l’Occident », ouvre aussi la voie à la légalisation de politiques réactionnaires des dirigeants de l’État. Cet Etat qui n’est pourtant pas en carence de lois et de décrets en matière de lutte contre le terrorisme.

Bien que l’énoncé ne vise pas frontalement les religions ou la laïcité, le projet (51 articles) s’en prend bien à l’islam, avec une série de mesures qui impacteront toutes les religions sur le territoire, en exerçant des contrôles intrusifs  en matière de neutralité accrue des services publics et de ses délégataires (donc le privé) :

– Contrôle accru du préfet sur les maires, pourtant soucieux des relations avec les religions, ou toutes autres associations

– Contrat d’engagement républicain pour les associations subventionnées 

– Elargissement du pouvoir de dissolution d’associations suspectées de radicalisme

– Renforcement de la transparence dans l’exercice du culte et suspicion des représentants des religions, alors que quasiment tous sont irréprochables quant aux règles communes.

En s’immisçant dans la pratique religieuse, cette loi déformera la laïcité de 1905 ainsi que celle de 1907, relative au culte, ce qui laisse envisager d’autres réformes ultérieures.

Par ailleurs, rappelons que la loi de 1881 sur la liberté de la presse est aussi ébranlée, tout comme celle de 1882 sur l’école obligatoire.

Additionnée à la sécurité globale notamment, l’ensemble des droits et libertés publiques garanties par la Constitution et les conventions de l’UE sont bafoués !

Suite à l’assassinat de Samuel Paty, un certain nombre d’associations sont dans le collimateur de Darmanin. L’art. 6 prévoit que « toute demande de subvention fasse désormais l’objet d’un engagement de l’association à respecter les principes et les valeurs de la République ». Lors de demande de subvention, l’association aura l’obligation de signer un engagement en ce sens. En cas de non-respect de ces prétendues valeurs, elle sera contrainte de rembourser la subvention. De plus, les préfets pourront s’opposer à leurs versements. Par ailleurs, concernant leurs financements, la loi prévoit plus de moyens pour passer au crible les associations bénéficiaires de dons entraînant des réductions d’impôts. « Pour la première fois, on va savoir qui finance qui sur notre sol », s’est exclamé pour le Figaro le premier flic du pays. Comme si aucun listing n’existait déjà ! Démagogie !

Le gouvernement va aussi créer un identifiant national pour chaque élève permettant de s’assurer qu’aucun enfant n’est privé « de son droit d’instruction ». N’est-ce pas déjà le cas ?! « Le fichier permettra de savoir qui est inscrit à l’école, y compris celle à domicile […] Cela nous permettra de faire des contrôles afin que tout enfant bénéficie de ce suivi », précise Darmanin. L’école à domicile concerne actuellement 50 000 enfants, elle sera dorénavant strictement encadrée. Macron avait déjà annoncé que l’instruction à l’école serait obligatoire à partir de septembre 2021. Restreindre et contrôler l’école à domicile est le but recherché.

Atteintes à la liberté d’opinion

En décembre dernier, alors que les mobilisations battaient leur plein sur tout le territoire contre le projet de loi Sécurité globale, le gouvernement, usant de son attitude prosélyte habituelle, annonçait discrètement trois décrets portant sur l’information sécuritaire. Ils élargissent le fichage en autorisant policiers et gendarmes à faire mention des « opinions politiques », des « convictions philosophiques et religieuses » et de « l’appartenance syndicale », puis autorisent de rediriger ces notes vers le procureur. Alors que les précédents textes se limitaient à recenser les « activités », et ce, uniquement à l’adresse des services de renseignement. Cerise sur ce gâteau empoisonné, ces mentions pourront être considérées comme des menaces contre la « sûreté de l’État » et non plus seulement comme des menaces « à l’ordre public ».

Identifiants, photos et commentaires postés sur les réseaux sociaux pourront aussi être listés, de même que les troubles psychologiques et psychiatriques « révélant une dangerosité particulière ». Outre les personnes physiques, les « personnes morales », telles que les associations, sont également visées. Mais comment obtenir de telles informations si ce n’est par la délation de voisins, de collègues de travail… Macron et consorts tentent de renouer avec les bonnes vieilles pratiques de Marcellin (3).

Face aux craintes que soulève cette « politique », CGT, FO, FSU, Syndicat de la magistrature et Syndicat des avocats de France, ont considéré que ces décrets portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, de conscience, de religion et de la liberté syndicale. Ils ont donc déposé un recours en référé auprès de la haute juridiction française, le Conseil d’État, qui l’a rejeté, ce 5 janvier, donnant un avis favorable au gouvernement pour les trois décrets dans leur totalité !

Etre fiché pour des faits non violents relevait déjà d’une pratique policière, mais être fiché uniquement pour des intentions que l’on prêterait, de manière subjective, à un individu, est non seulement liberticide, mais ajoute une provocation supplémentaire !

Le Conseil d’Etat, dans sa mission de conseil du gouvernement, a donné son aval à ces restrictions de libertés. Et que dit la CNIL (commission nationale de l’informatique et des libertés) ? Elle se laisse imposer une loi liberticide. Cette institution aboie peu et ne mord jamais.

Au-delà de ces trois décrets, ce sont toutes les institutions de la République qui se couchent devant l’Elysée qui impose sa politique. Le chef de l’Etat est un tigre face à celles-ci et face aux travailleur-euses, mais rien qu’un minet devant les possédants !

Les guerres de Macron

Le chef de l’État est en guerre ! Il est en guerre contre la sociale, en guerre contre le coronavirus, en guerre contre le terrorisme… Enfin, face à un « continuum » de menaces, il est en guerre anticipatrice. Un vrai guerrier, le bougre, contre toutes et tous, excepté les 10 % les plus riches de l’hexagone, qui continuent d’être choyés. La gestion de l’épidémie – comme celle de toutes les crises – est régentée par un comité de défense restreint autour de Macron (renvoyant le Conseil des ministres comme chambre d’enregistrement), qui, en bon va-t-en guerre traîne dans son sillage jupitérien tout le pays, vu qu’il en est le chef. Ses armes : l’omniprésidence, la loi, la technoscience, la bureaucratie, la délation, la novlangue, sans omettre les pandores, l’armée, les vigiles privés…

Depuis mai 2015, l’armée a étendu ses missions à des opérations de maintien de l’ordre sur le territoire français. L’opération Sentinelle, qui mobilise 10 000 soldats de l’armée de terre, semble aujourd’hui immuable. Le ministre Jean-Yves Le Drian déclarait en 2015 que « l’opération Sentinelle est amenée à durer ». Elle permet d’anticiper le rôle de l’armée dans le maintien de l’ordre sur le territoire. Le Drian précisait aussi en février 2016 : « Il faut réfléchir aux équipements futurs, y compris pour les opérations intérieures, qui ne sont pas des opérations de seconde zone ».Si la France n’est pas la seule à devoir se protéger du terrorisme, elle ouvre la voie à la militarisation du management de ses crises.

L’Etat autoritaire

Globalement, dans le monde, l’autoritarisme et la répression sont « à la mode ». Les Etats liberticides, peu ou prou, se multiplient à travers la planète. Macron, davantage copieur que créateur, file droit dans cette logique réactionnaire. En Grèce, le premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, adopte une politique fasciste ! Il a d’ailleurs été élu avec l’appui substantiel de l’électorat d’Aube Dorée (néonazi). Cette réalité grecque, on la doit à la Troïka (4) qui a saigné à blanc une économie déjà mal en point. Le capitalisme vit sa crise, qui va l’affaisser, et la compétition entre tous et toutes a pris des allures ubuesques. Quant à l’UE, elle est responsable et coupable de la situation grecque.

Dans ce sombre tableau, le gouvernement légifère… mais pas sur le séparatisme des plus riches, à l’abri dans leurs ghettos ; il n’entend les indexer ni sur leurs revenus et patrimoine, ni sur leurs évasions fiscales. Les bourgeois sont rois en République.

Et même les tyrans y sont « rois » et se récompensent mutuellement. Lors de la visite du Président égyptien, Al Sissi, qui a mené une répression sauvage à l’encontre de son peuple, Macron lui a remis discrètement la légion d’honneur. Il fallait le remercier de l’achat des Rafales. Rappelons que les plus grosses commandes d’armement français viennent des Etats du Golfe Persique, là où les femmes sont lapidées, comme en Arabie Saoudite. Là où la charia est le régime politique par excellence, là où le salafisme « éduque » et finance les musulmans dans les mosquées d’Europe et d’ailleurs. Là, point de question sur le séparatisme !

En revanche, on abandonne au chômage et à la précarité sociale les quartiers dits populaires, on densifie le quadrillage des populations, on réprime violemment toute contestation ainsi que les personnes « issues de l’immigration ». Les mesures de restriction des libertés pleuvent au rythme des « humeurs » ministérielles. La « société de vigilance » revendiquée par le chef de l’État, appelle à la surveillance et à la délation ; au voyeurisme, à l’espionnage de son voisin.

Mais, le pouvoir reste sourd aux SOS des associations sociales. Or, la surdité rend paranoïaque et ce pouvoir reste sourd à l’inquiétude générale.

Jano Celle, le 24 janvier 21

Sources : gouvernementale, A l’encontre, et autres médias

(1) Il est bien précisé force de sécurité et non force de l’ordre, ou force de police, ce qui inclut l’armée.

(2) Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur répète cette formule qui a plu aux médias, ajoutant que « L’insécurité doit changer de camp et entre nous et les terroristes, la guerre est engagée ». Le 7 août 1986, l’Assemblée vote les « lois Pasqua », très répressives. Mais en septembre, la vague terroriste reprend.

(3) Raymond Marcellin. Après de différents postes ministériels, De Gaulle le nomme ministre de l’Intérieur du 31 mai 1968 au 27 février 1974. C’est sous son mandat qu’il va en premier lieu affronter la révolte de Mai 68, puis d’opérer un « nettoyage » dans les milieux dits « gauchistes ». Il sera l’incarnation de l(ordre musclé.

(4) la troïka désigne l’alliance de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international (FMI) pour superviser dits « les plans de sauvetage » et ses implications dans les Etats membres de l’UE.

 

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