Tarif énergétique : ça gaz fort

Tarifs énergétiques, ça gaz fort !

Cet article traite davantage de la question des prix pour nos besoins énergétiques, que de ses excès en consommation, ou de la sobriété de son utilisation aujourd’hui indispensable.

Par Jano Celle le, 26/10/21.

Les tarifs pétroliers sont volatiles, celui du gaz naturel grimpe au firmament, celui de l’électricité bat des records… Les travailleureuses n’en n’auront bientôt plus pour leurs moyens : circuler pour aller au turbin, se chauffer et se nourrir, sont déjà pour les plus modestes une impossible équation pour y subvenir à satiété. Si l’argent ne fait pas le bonheur, c’est que la richesse porte la bourgeoisie à l’ennui. Le bonheur d’un peu de chaleur dans son foyer n’a pas à être de l’ordre de l’utopie, c’est pourtant la condition sine qua non au quotidien pour tous et toutes. Ce que n’entendent pas les « investisseurs » et les Etats, prétextant du rapport de l’offre limitée avec une demande gonflée par la reprise économique (paraît-il)

Du brut au net

Rappelons une fois encore la désinformation au quotidien du Parti de la Presse et de l’Argent (PPA). Il ne viendrait à aucun de ses « agents » l’idée de relater les prix du baril de pétrole depuis une cinquantaine d’années. En 1960, l’OPEP (Organisation des pays producteurs de pétrole) fut créée afin de contrer les compagnies pétrolières qui détenaient les pleins pouvoirs sur le cours de l’or noir en imposant leurs tarifs aux pays producteurs. En 1970, le prix du baril (159 litres) du brut vaut 1,8$ (un dollar huit). En 1974, l’Opep décrète un embargo de la production en réponse à la guerre du Kippour (1). Ce sera le premier choc pétrolier, le prix du baril importé par les raffineurs américains dépassera les 10$.

Deux distorsions affectent le prix à la pompe : en 1979, la révolution en Iran entraîne le deuxième choc pétrolier : le baril dépassera les 20$. Prévenant la guerre du Golfe en octobre 1990, le baril passe rapidement à 40$. Fin août 2005 : l’ouragan Katrina frappe une zone pétrolière, le baril grimpera au-delà de 70$, pour franchir le seuil symbolique des 100$ en 2008, puisqu’il atteindra 138$ avant de retomber… Mais en 2011 et 2012, le prix du brut bat de nouveaux records (au-delà des 140$). En 2020, suite à la pandémie et donc de la chute brutale de la consommation, le baril redescend à 40$ ; « il a sombré dans les abîmes… » se lamente le site PRIXDUBARIL.com ; dans les abîmes, les pôv’s bougres d’actionnaires ont dû se ronger les sangs.

En fait, il ne cesse de grimper, de dépasser ses records au gré des événements géopolitiques. Au final, avec les industries pétrolières, le cours du brut valait peu, comparé au prix d’extraction dans les pays producteurs, ce qui arrange convenablement leur trésorerie.

Seconde distorsion : si le prix du brut fait du yoyo au gré de multiples incidences mercantiles depuis des lustres, le prix à la pompe a bien du mal à l’imiter. En 1970, le prix du super à la pompe tournait autour de 0,15-0,20€/litre (soit en franc entre 1,29 et 1,78). Jusque-là, en prenant en compte la chaîne raffinage/transport/distribution du brut, en y ajoutant taxes, TVA et dividendes, l’écart tarifaire de l’extraction à la pompe est plus que conséquent.

Or l’an dernier, le litre à la pompe valait entre 1,40 et 1,60€, alors que le baril avoisinait 40$ (soit 34,50€), donc 0,21€ le litre de pétrole. Il y a là une marge démesurée que se partage l’ensemble de la chaîne, un véritable racket ! Ces jours-ci le SP95 valait 1,83€. La barre politiquement symbolique débordera très bientôt les 2€ du litre.

En France, sur un litre d’essence ou de gazole, les consommateurs-trices paient près de 70 % de taxes. Deux taxes distinctes s’appliquent. D’abord, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), près de 50 %, et la TVA à 20 %.

Gaz

Que le butane soit gazeux (2) ne peut justifier une explosion tarifaire, or la facture de gaz pour se nourrir et, ou se chauffer va être hyper sévère ! La CRE (Commission de régulation de l’énergie) a annoncé fin septembre une hausse record de 12,6 % du TRVG (tarif réglementé de vente de gaz naturel) d’Engie pour ce 1er octobre. « Cette évolution résulte de la hausse, historique, des prix du gaz sur le marché mondial qui se répercute sur les coûts d’approvisionnement du fournisseur de gaz Engie », justifie la CRE.

« Les hausses des TRVG reflètent strictement l’évolution des coûts d’achat du gaz des fournisseurs historiques, dont les bénéfices n’augmentent pas du fait de cette hausse », rappelle la CRE, alors que la flambée des prix du gaz ces derniers mois sur les marchés internationaux alimente des tensions sociales… Cette dernière hausse est à additionner avec les augmentations de 4,4 % en juin, puis de 10 % en juillet, de 5,3 % en août et de 8,7 % en septembre. Ainsi depuis janvier 2020, le prix du gaz aura bondi de de 44 % ! (sic)

Or depuis le 1er janvier 2019, les hausses des TRGV d’Engie ont augmenté de 31,9 %, et de 33 % depuis le 1er janvier 2015. En y ajoutant les 44 % on frôle les 140 % d’augmentation en six années ; on ne peut en dire autant pour les salaires, les allocations, les pensions. Ce 31 août, les TRVG concernent environ 3 millions de ménage, qui représentent 7,5 % de la consommation nationale. Au 1er octobre, « le montant de la facture TTC d’un ménage chauffé au gaz et disposant d’un contrat au TRVG d’Engie, ou chez un concurrent, sera de 1482 € l’an (montant selon la CRE à prendre à minima.

Plus de trois millions de personnes ne vont pas pouvoir se chauffer convenablement au gaz ce prochain hivers. Que notre pays dispose, ou pas, de nappe gazeuse sous son sol, ne changerait pas la politique tarifaire de l’Etat, qui se désole d’être internationalement tributaire du cours de cette matière première, à l’instar de toutes autres… La France possède sous son sol environ 1 % de ses besoins en gaz naturel.

Que la lumière soit…

… Chère, souhaitent les spéculateurs. Qu’à cela ne tienne, l’augmentation du tarif de l’électricité pour février prochain est promise à hauteur de 10 % , s’il ne croît pas davantage ?. La folle grimpée de la cotation sur le marché de gros de l’électricité impacte tous les pays européens, pour se répercuter sur la facture de consommation pour les ménages, comme pour les entreprises.

En France selon UFC Que choisir, le prix de l’électricité s’est accru de 50 % en cinq ans et de 67 % depuis 2007. De facto, et tout comme pour le chauffage au gaz, 2,7 millions de personnes (au bas mot) ne vont pas pouvoir se chauffer convenablement.

De plus, s’il n’y a pas de coupures d’électricité pour les impayés durant l’hiver – hormis pour les gens du voyage – avec le retour du printemps le retour des coupures est fracassant : 700 000 ménages ont vu leur compteur scellé ce printemps, combien au prochain ?!

Par ailleurs, 34 % des PME-PMI s’attendent à une importante dégradation de leur trésorerie, prévient la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises.

Depuis l’imposition du néolibéralisme il y a 40 ans, ses chantres de la dérégulation prétendent réguler le marché des matières premières grâce notamment à une arme imparable, la concurrence. Sauf que celle-ci est biaisée par des entendements frauduleux et faussés. On y ajoute une pincée de plus-value pour la compétitivité entre détenteurs, avec un zeste de dé-responsabilité des Etats en matière d’absence de pression politique sur le marché international, cela tout en choyant les transnationales qui tiennent leur siège dans leur pays (Total, Edf… en France).

Selon les vœux de la Commission Européenne, la course à l’échalote de dividendes se traduit aussi avec le projet Hercule : EDF déjà fractionnée entre le producteur, le transporteur et le distributeur de l’électricité (Edf, Rte, Enédis) va découper la production en trois sociétés distinctes : la Bleu concernera le nucléaire et le gaz ; la Verte pour de l’administration et le Renouvelable ; l’Azur pour les barrages hydroélectrique. Si l’État reste l’actionnaire amplement majoritaire, il prévoit déjà de privatiser la verte…

L’irresponsabilité étatique est à son comble, puisqu’il continuera à magnifier un système inique sur plusieurs leviers. Le premier : En 2020, Edf projette de construire un parc éolien sur les terres de la communauté autochtone mexicaine d’Unión Hidalgo, située dans l’Etat d’Oaxaca. Décision prise sans concertation avec les habitant-es alors qu’un droit communautaire est prévu par la Constitution mexicaine. Il va sans dire qu’un projet de cette envergure proche des habitations et sur leur terre est pure provocation. D’ailleurs, l’opposition populaire ne s’est pas fait attendre (…). L’électricien français devra répondre devant un tribunal à Paris sur plainte des défenseurs des droits humains, en vu de respecter les droits et de suspendre le projet de ce parc jusqu’à ce qu’elle se conforme à son obligation de vigilance, telle que prévue par la loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017.

Le deuxième : Edf, premier exportateur européen, gonfle artificiellement sa grille tarifaire auprès de ses clients distributeurs, les obligeant à hausser leur prix à la consommation. Il protège ainsi son monopole en France avec une présence significative sur le marché européen.

En troisième levier, la tarification énergétique. L’envolée des prix de gros sur le marché va perdurer, le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire est un menteur lorsqu’il affirme que c’est suite à une demande fortement croissante que le tarif à la consommation grimpe. Or c’est faux ! Nous ne consommons pas davantage de courant qu’un l’automne précédent, et donc bien moins qu’en hivers. Cette hausse annoncée, tout comme les précédentes depuis 2007, ne sont dues ni à une progression de la demande, ni à une raréfaction de la production, et encore moins à un accroissement de son coût – celui-ci ne dépasse pas les 8 %, vu que le gaz utilisé à sa production est détaxé – mais tout simplement faisant suite à la libéralisation du secteur électrique. Là encore ce sont les « investisseurs » qui entendent engranger autant de plus-values que sur le charbon et le gaz. Aussi, le prix de l’électricité doit être arrimé sur ceux-ci, prenant également en compte le prix européen du Co2, et donc lié au mode de calcul des prix, échafaudé par l’UE. Il ne dépend, non pas du coût de production moyen, mais de son coût « marginal », c’est-à-dire du coût variable de la centrale la plus onéreuse sur le réseau européen connecté, en général, à une centrale thermique (gaz, charbon ou fioul). Le syndicat Sud Energie fait l’analogie avec l’automobile : c’est comme si le prix d’un véhicule était totalement dépendant du prix de la peinture de carrosserie.

Pouvoir et vouloir, intimement liés

Ce 21 octobre, le 1er ministre, Jean Castex, annonce qu’une « indemnité inflation » exceptionnelle, de 100€, sera versée aux Français gagnant moins de 2 000 € net/mois afin de les aider à faire face à la hausse des prix des énergies (gaz, électricité, carburants). Cette indemnité sera versée automatiquement, sans démarche et ce, aux salarié-es (fin décembre), aux fonctionnaires (janvier), aux indépendant-es, chômeur-es ou retraitées, plus tard… soit à 38 millions de salarié-es, pour un montant total de 3,8 Mds/€.

« Une mesure qui se voit, c‘est la solution la plus juste, la plus efficace (tiens donc), en 2021, le pouvoir d’achat des Françaises et des Français augmentera…» « De plus, le prix du gaz en France sera par ailleurs bloqué tout le long de l’année 2022. » En voilà une bonne nouvelle !!

Le gouvernement prétendait hésiter entre un chèque carburant, privilégié par Bercy, et une baisse d’une taxe (TVA ou de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) ; l’État espagnol, par exemple, a réduit la TVA de 10 % du prix à la pompe. Concernant le ministre Lemaire, le doute est permis. Primo selon la caisse des retraites et l’Insee, population active et retraité-es font un total de 44,5 M d’individu-es, le ministre en aurait-il « supprimé » ? Secundo : aux infos télévisées, le même affirme que de diminuer d’un centime le litre, équivaut pour Bercy à un manque à gagner d’un demi milliard €. Aussi, une baisse de 30 cts du litre de carburant, équivaudrait à une perte de 15 Mds d’€. Evidemment, la conclusion comptable diffère, mais pour quelle temporalité ?

On voit bien où mène ce régime économique ; vu que toute richesse produite par le travail finit, pour l’essentiel, dans les coffres privés, l’État ayant bradé la quasi totalité de son industrie ne peut compter que sur les taxes et impôts payés par le « populo », puisque les riches et les sociétés type CAC40 sont considérablement défiscalisés…

Une politique internationale de régulation, de contrôle et une restructuration du marché des énergies est-elle possible ? Oui, encore faut-il réussir à changer radicalement l’ensemble du système, sachant que les Etats y perdraient notamment en taxes, et qu’ils ont tout intérêt à le prolonger…

Sobriété énergétique

Pourtant la sobriété énergétique est la clef de voûte d’une baisse significative de l’empreinte carbone. Une situation bien trop réfutée afin de protéger leur leadership sur le marché globalisé, les élites « vont droit dans leurs bottes », la « revanche » des nucléocrates français qui viennent nous conter comment sauver la planète avec le projet de six EPR, voire dix-huit, afin que ce pays puisse démontrer sa capacité à la neutralité carbone d’ici 2050 (re-sic). Cette option paraît la plus crédible si « on » veut poursuivre le productivisme niais & destructeur.

Par contre, comment mettre en place une vraie sobriété sans remise à plat de la normativité consumériste, sans faire perdre de l’argent à la pub (l’avant-garde du système consumériste), aux hyper-marchés, de la fiscalité inhérente, ou du monde de la finance, obligé de revoir leur course aux profits…

Or et en parallèle, une transition écologique est impossible sans sobriété énergétique. Cet impératif se heurte au normes sociales : « Tout, dans notre socialisation, valorise le principe de la compétition par l’accumulation, dit Barbara Nicoloso. On grandit avec l’idée que « plus, c’est mieux ». On le voit avec l’éducation : ce n’est pas la note qui compte, c’est la meilleure note. Le travail, la sociabilité personnelle et familiale renforce cela. Il ne s’agit pas de savoir si l’on voyage, mais de voyager loin, souvent, et de multiplier les activités pendant ce voyage ».

Cette valorisation de l’accumulation se traduit de manière concrète dans notre rapport à la consommation matérielle, et donc liée au besoin énergétique. Comme le rappelle Cécile Désaunay, directrice d’études pour le groupe de réflexion Futuribles : la consommation joue encore un rôle structurant dans notre société, au point de représenter 55 % du PIB français. « Symboliquement, toute notre vie est orientée vers cela, explique l’autrice de La société de déconsommation. Notre objectif reste de travailler pour gagner de l’argent, pour consommer davantage. » Croissance et consommation gardent cette vision du « progrès ». Dans ce contexte, difficile de rendre la sobriété attrayante.

Pour le candidat Jadot, pas question de remettre en cause le nucléaire, ni de se battre contre l’UE, pourtant intolérante aux circuits courts. Tout juste bon à vouloir – comme nombre de ses pairs – augmenter encore et encore le prix des carburants à la pompe, alors que la très grande majorité des Français-es circule pour aller au travail, que 400 à 500 000 poids-lourds sillonnent quotidiennement le pays et que là, Jadot, on ne l’entend guère.

Le site associatif NégaWatt, publie aujourd’hui même un dossier sur la pertinence d’un avenir possible sans nucléaire d’ici 2050. https://negawatt.org/Le-scenario-negaWatt-2022/ Encore faudrait-il que les candidat-es aux Présidentielles s’en inspirent, et c’est pas gagné.

Par ailleurs, sans de véritables restrictions à la consommation excessive de la bourgeoisie, il est d’autant plus compliqué de faire entendre raison aux classes populaires.

A bon entendeur…

Jano Celle, le 26/10/21. Article paru initialement à Pour l’Emancipation Sociale n°77, octobre 21.

(1) La guerre du Kippour (en hébreu), ou guerre du Ramadan (en arabe) du 6 au 24 octobre 1973, a opposé la coalition menée par l’Egypte et la Syrie à Israël, en attaquant simultanément le Sinaï et le plateau du Golan, territoires respectivement égyptien et syrien, occupés par Israël depuis la guerre des Six Jours.

(2) Le butane est un gaz naturel, pompé dans le sol. Le propane est un gaz produit avec du pétrole, aussi les prix de production diffèrent

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