Stocamine : De Rugy ferme définitivement le site…

42.000 tonnes de déchets industriels hautement toxiques resteront définitivement enfouis à Stocamine, en Alsace, malgré le risque de pollution de la plus grande nappe phréatique d’Europe. C’est ce qu’a unilatéralement décidé François de Rugy, au mépris de l’opposition locale et malgré un rapport prouvant la faisabilité du déstockage.

Illustration de stockage

42.000 tonnes d’arsenic, d’amiante, de cyanure et d’autres résidus d’ordures ménagères incinérées resteront enfouis pour toujours dans les entrailles de marnes et de sel de Stocamine. C’est ce qu’a décidé ce week-end, en catimini, le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy. Les membres de la commission de suivi du site (CSS) ont découvert la nouvelle lundi 21 janvier dans la presse, trois heures avant leur réunion consacrée à l’avenir de ce centre de stockage des déchets industriels ultimes de Wittelsheim (Haut-Rhin). Creusé dans les anciennes mines de potasse Joseph-Else, à 600 mètres sous terre, le centre avait accueilli ses premiers colis de déchets en 1999. 320.000 tonnes de rebuts toxiques devaient y être stockés. Mais un incendie en septembre 2002, causé par des déchets non autorisés — des résidus d’engrais hautement inflammables —, a prématurément mis fin à l’activité. Depuis, le sort des rebuts entassés dans les galeries en train de s’effondrer fait débat. La société Mines de potasse d’Alsace (MDPA) plaide pour leur confinement définitif, plus économique. Les neuf communes riveraines, le conseil départemental, le conseil régional, les députés et sénateurs locaux et le collectif Destocamine, qui regroupe quatorze associations et organisations syndicales, réclament le retrait de tous les colis, au motif qu’ils risquent, à terme, de contaminer la plus grande nappe phréatique d’Europe située à proximité. Ségolène Royal avait ordonné en 2012 le retrait de 2.000 tonnes des déchets mercuriels et le confinement du reste à l’aide de barrages en béton. Puis Nicolas Hulot avait accepté de réexaminer la demande de retrait des élus et des associations locales, et commandé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) un rapport sur la faisabilité du déstockage.

« Le principe de précaution n’est pas respecté »

« Compte tenu des enjeux, de la balance des risques » et du « surcoût » lié au déstockage, « la solution la plus adaptée demeure la poursuite du chantier de confinement des déchets restants, sans déstockage supplémentaire », a finalement tranché M. de Rugy. Il a justifié cette décision par des risques de fuite de substances toxiques dans l’environnement et d’accidents pour les personnes chargées du déstockage. Le préfet du Haut-Rhin, Laurent Touvet, a ensuite confirmé la nouvelle lors de la réunion de la commission de suivi du site, interdite à la presse pour l’occasion — une « première », selon le quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace.

Sans commentaire

« La décision du ministre et la façon de prendre cette décision sont parfaitement opposées au sens du rapport qu’on a commis d’une part, et à l’exigence de qualité du débat public qu’on sent émerger d’autre part », dit M. Schellenberger, joint au téléphone par Reporterre. « L’étude du BRGM dit qu’il est possible de déstocker. Mais face à cette démonstration de la faisabilité technique du déstockage, on ne rencontre que du mépris. Et trois heures avant la commission de suivi de site, un courrier du ministre nous apprend que la décision est déjà prise et nous dit “Circulez, il n’y a rien à voir”. Ça ne sert à rien de mettre en place des organes de concertation ! C’est profondément scandaleux. »

Juste avant l’intervention du préfet, le BRGM présentait officiellement à la CSS le rapport commandé par M. Hulot. « Sa conclusion était qu’il était tout à fait possible de déstocker quasiment tous les déchets d’ici 2028, pour un coût compris entre 380 et 440 millions d’euros selon le scénario retenu », dit Philippe Aullen, membre de la CSS et du collectif Destocamine, à Reporterre. « Le préfet nous a expliqué que malgré la faisabilité du déstockage, le ministre estimait que le jeu n’en valait pas la chandelle parce que l’ennoyage des déchets n’aurait lieu que dans 300 à 600 ans. Certes, les risques de pollution de la nappe phréatique sont minimes pour les trois ou cinq ans à venir. Mais que dira-t-on aux générations futures ? Il me semble que le principe de précaution, inscrit dans la Constitution française, n’est pas respecté. » Ulcérés, les membres du collectif Destocamine ont quitté la réunion de la CSS avant la fin.

Le député (Les Républicains) du Haut-Rhin, Raphaël Schellenberger, ne cache pas son indignation. De juin à septembre 2018, il a mené vingt-cinq auditions, rencontré une cinquantaine de personnes et même visité les galeries d’accès et de stockage de Stocamine, en tant que rapporteur d’une mission d’information parlementaire sur le site de stockage de déchets. Les conclusions de son rapport, dévoilées en septembre 2018, étaient claires : « Les déchets doivent être extraits si cela est techniquement possible, afin de ne pas faire peser un risque grave pour l’environnement — mais également sur la population. C’est en mettant effectivement en oeuvre la réversibilité (…) qu’il sera possible (…) non seulement de rétablir la confiance de la population mais aussi de préserver la ressource inestimable que constitue la nappe phréatique d’Alsace. »

« Trois heures avant la réunion, on apprend que la décision est déjà prise ! »

Le site d’enfouissement au carreau Joseph Else

Pour le député, le problème dépasse le risque de contamination de la nappe phréatique d’Alsace. Il est que l’État avait promis que le stockage serait « réversible », c’est-à-dire que les déchets pourraient être retirés en cas de problème. « Dans les années 1990, l’État avait assuré par la voix du directeur régional des équipements industriels et de l’environnement que le stockage serait en réalité un entreposage temporaire et qu’au bout de la durée d’exploitation les déchets seraient retirés », rappelle M. Schellenberger. Un arrêté préfectoral de 1997 limitait la durée d’exploitation du centre à trente ans. Las, « l’État a menti à la population sur ce qu’était la réversibilité. Aujourd’hui, pour rétablir la confiance, un argumentaire scientifique, qui pourrait être contredit par un autre argumentaire scientifique, ne suffit pas. Il faut que l’État réalise son engagement de départ et que l’ensemble des déchets soient remontés ». Les élus locaux et les associations n’entendent pas baisser les bras. « Le recours du conseil départemental du Haut-Rhin est toujours en suspens, cela peut être un des supports sur lesquels s’appuyer pour poursuivre le combat d’un point de vue juridique », a déclaré M. Schellenberger aux Dernières Nouvelles d’Alsace. Le collectif Destocamine, lui, a déjà prévu une réunion ce mardi 22 janvier, puis une réunion publique jeudi 24 janvier. « On ne va pas en rester là, prévient M. Aullen. On a appris que M. de Rugy venait en Alsace le 1er février, on va essayer de lui faire une petite haie d’honneur. »

Sources : https://reporterre.net/Dechets-toxiques-de-Stocamine-de-Rugy-ferme-contre-l-avis-des-elus-locaux